Burn-out des dirigeants, sujet tabou

Tais-toi et Rame, nouvelle tribune de Marie-Pierre Borde

Dans sa dernière tribune « Tais-toi et Rame » publiée dans La Vie Economique, Marie-Pierre Borde, médiateur et thérapeute, évoque le Burn-out des dirigeants.

Marie-Pierre Borde, médiateur et art-thérapeute

Rame, rameurs, ramez ! On n’avance à rien dans c’canoë ! Là-haut on t’mène en bateau, tu pourras jamais tout quitter, t’en aller. Tais toi et rame. » Composée par Laurent Voulzy et Alain Souchon en 1980, cette chanson a connu un immense succès, et a été reprise dans plusieurs albums du chanteur, jusqu’au dernier en 2020 Âme fifty-fifties. Elle a un côté désillusion et un côté « On ne me la raconte pas ! ».

Ne pas se plaindre

C’est une chanson qui va bien aux dirigeants. Pas le temps de se plaindre ! Trop de travail pour cela. « Rame au lieu de discuter et me demander comment je vais. Si je suis là, c’est que ça va. » C’est une face du personnage.

Et voici quelques toutes premières paroles de dirigeants reçus en cabinet, qui n’avaient jamais consulté auparavant pour leur santé psychique : « Voilà, je suis au bout », « Je suis venu car je ne sais plus ce qui m’arrive », « C’est dur à dire, je n’y arrive plus », « Ça fait quelques temps que j’ai des idées noires », « Plusieurs personnes m’ont dit qu’il fallait que je consulte »…

TOUS PARLENT DE STRESS SANS SE PLAINDRE

Après les premiers mots prononcés, tous parlent longtemps de leur travail, de leur entreprise, de leurs collaborateurs. Et aussi, des difficultés toujours surmontées, et aussi de tout ce qui va bien, de leur famille, leur couple. Les affaires sont parfois en danger, et souvent elles sont bonnes. Tous parlent de stress, sans se plaindre. Ils sont là, désemparés de devoir en arriver à espérer de l’aide. Ce moment-là est celui qui pousse quelqu’un, à brutalement redresser le volant de sa voiture, de sa moto, et franchir la porte d’un cabinet où il va parler à quelqu’un de ce qui se passe, qui le dépasse et l’inquiète.


C’est souvent la première fois que ces personnes doivent parler d’elles. Il y a des choses difficiles à mettre en mots, et parler de soi, de ses difficultés, pour un dirigeant c’est un tabou. L’injonction est qu’un dirigeant peut tout encaisser. Ce serait même fait pour cela. Or les événements de la société, de notre vie personnelle montrent qu’un dirigeant aussi a ses limites. Limites qu’il ne connait souvent que quand il les franchit.


Des éléments peuvent aider à leur perception et donc à nous prévenir des situations dangereuses. 20 % des dirigeants vivent l’augmentation ou l’apparition d’une addiction.


PERCEVOIR LES RISQUES DU BURN-OUT


Publiée le 30 avril dernier, l’étude Malakoff Humanis* montre que la bonne santé des dirigeants malgré la crise que nous traversons, est à nuancer. Comme un phénomène courant chez les dirigeants de PME/TPE, la perception positive qu’ils ont de leur état de santé est en décalage avec ce que révèlent des indicateurs objectifs, comme l’augmentation du stress, ou l’augmentation de comportements à risques : 82 % déclarent être en bonne santé physique, 68 % font du sport régulièrement. Ils sont cependant plus nombreux à fumer et à consommer de l’alcool quotidiennement. Le stress et la fatigue que 48 % d’entre eux expriment, n’affectent pas la confiance qu’ils ont dans leur vie personnelle et dans celle de leur entreprise.

Quelques chiffres

Il y a cependant des impacts marquants : 20 % vivent l’augmentation ou l’apparition d’une addiction (principalement alcool et tabac), 28 % présentent des insomnies, 32 % une prise de poids. 30 % se sentent isolés et estiment que leur équilibre vie professionnelle / vie personnelle est menacé.
Comme il est souvent difficile de percevoir réellement où nous en sommes, quelques indications peuvent nous aider à percevoir les risques du burn-out : (source Haute autorité de santé).

Manifestations du burnout

Le burnout peut se traduire par des manifestations plus ou moins importantes, d’installation progressive, souvent insidieuse, qui sont en rupture avec l’état antérieur.

Ces manifestations peuvent être d’ordres :

  • émotionnel (anxiété, tensions musculaires, tristesse, manque d’entrain, irritabilité, hypersensibilité, absence d’émotion…),
  • cognitif (troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration…),
  • comportemental (repli sur soi, isolement, comportement agressif, diminution de l’empathie, ressentiment et hostilité, comportements addictifs…)
  • motivationnel (désengagement progressif, baisse de motivation et de moral, effritement des valeurs associées au travail, dévalorisation).

Des manifestations d’ordre physique non spécifiques peuvent aussi être présentes :

  • asthénie,
  • troubles du sommeil,
  • troubles musculo-squelettiques (lombalgies, cervicalgies…),
  • crampes,
  • céphalées,
  • vertiges,
  • anorexie,
  • troubles gastro-intestinaux

Le Burn-out, c’est quoi ?

Rappelons que le burnout, ou syndrome d’épuisement professionnel, désigne un état d’« épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ».

Il se caractérise par un processus de dégradation du rapport subjectif au travail. Concrètement, face à des situations de stress professionnel chronique, la personne en burnout ne parvient plus à faire face. Le risque est alors de tenter de le cacher, car ne plus faire face est socialement considéré comme une honte. S’en ouvrir est très souvent perçu comme une faiblesse. Et un dirigeant ne peut pas être ou se montrer faible !

Le syndrome recouvre trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail (déshumanisation, indifférence) et la diminution de l’accomplissement personnel au travail et de l’efficacité professionnelle.

ROMPRE L’ISOLEMENT


Mes rencontres témoignent qu’existent pour bon nombre de personnes, un isolement dans la souffrance, des craintes du monde et de ceux qui les entourent, la dépression, des troubles de l’humeur, des addictions. Il est familier d’entendre qu’il est normal d’être seul quand on est dirigeant, que cela ferait partie du lot. Mais l’isolement est différent de la solitude. Nous vivons dans une société où le contrat social traditionnel est devenu précaire, pas seulement sur le plan économique. Or la solitude, ça s’apprend, pour pouvoir la supporter et en explorer les richesses.

Philippe La Sagna, psychanalyste à Bordeaux

Il écrit dans la revue La Cause freudienne, n° 66, page 43 :

« Pouvoir être seul, c’est la capacité pour un sujet à se séparer de ce qui le sollicite, les parents pour les petits, les autres pour les plus grands, mais aussi les fantasmes, et toutes les sources de stimulation, même toxiques. S’isoler peut se faire avec un toxique, un fantasme… et c’est éviter la solitude. On peut donc s’isoler grâce à la stimulation.

La solitude n’est pas l’exclusion de l’Autre, ce qu’est l’isolement. La solitude, c’est la séparation de l’Autre. Quand on est séparé, nous avons une frontière commune avec l’Autre, alors qu’avec l’isolement, il y a refus de la frontière. L’isolement construit des murs. Il s’agit alors pour l’analyste qui reçoit une personne, de prendre place auprès de son isolement, pour voir s’il est possible avec lui de construire une nouvelle solitude, moins précaire, à partir de laquelle il pourra rompre son isolement. Ce à quoi il faut arriver c’est à une solitude moins précaire.

Être isolé socialement est souvent le signe qu’une certaine solitude n’a pas été construite, parce que certains sujets vivent absolument seuls mais ne sont pas isolés, et d’autres vivent dans une adaptation apparente à un groupe, ont des amis, des collègues, mais sont absolument isolés, en ce qu’ils n’ont pas de vraie relation, de vrai contact avec qui que ce soit ». — Philippe La Sagna


Pour rompre l’isolement, décoller de sa souffrance et construire quelque chose de moins précaire, il faut aller rencontrer des personnes, non pas celles qui vont s’immerger dans cette souffrance, fussent-elles de très bonne volonté, mais des personnes qui en savent quelque chose de la construction d’une solitude moins précaire, qui peuvent accueillir ce qui ne se dit pas et celui, qui ne dit pas.

Étude Malakoff Humanis : la bonne santé des dirigeants malgré la crise est à nuancer – Affiches Parisiennes (affiches-parisiennes.com)