Médiateur et thérapeute, Marie-Pierre nous parle des tics verbaux

Exactement ! Gare au tic verbal !

Dans sa pratique en tant que médiateur et thérapeute, Marie-Pierre Borde écoute, observe et se frotte au langage. Elle revient sur certains tics verbaux qui nous accompagnent au quotidien. Nouvelle tribune publiée dans La Vie Economique du Sud-Ouest du 9 au 15 février 2022.

Les « exactement » deviennent tendance ! Un simple tic verbal, direz-vous. Il en existe d’autres, comme « du coup », « en fait », « mais allô, quoi », un tic verbal d’un moment de notre société. Quelque chose de banal presque…Il n’en est rien. Et vous, êtes-vous aussi contaminés ?

Dans l’actuelle course aux informations les plus fraîches possibles, aux scoops des scoops, plus vrais que vrais, avez-vous remarqué que de plus en plus de personnes répondent : « Exactement », à vos questions, remarques ou commentaires verbaux ? Par les temps qui courent si vite, nous développons de moins en moins notre propos. À tel point, nous devons indiquer combien de temps nous devons passer à lire un article. Autrement dit, combien de temps nous allons perdre ! Un article d’une minute devient long… Nos blablabla eux, ne diminuent pas, particulièrement sur les réseaux sociaux, mais les développements d’arguments sont souvent réduits à peau de chagrin. Ceci se vérifie particulièrement en temps de crise et en temps d’élections, bref en temps d’émotions collectives.

Une période de forte contagion d’affects selon le médiateur


À noter qu’en cette période, nous cumulons les deux handicaps. Ce sont des temps de très forte contagion d’affects ! Ce qui n’est pas forcément moins grave qu’une contagion virale.
Nous nous empressons de redire ce que nous avons entendu, qui soit le plus parlant possible, afin de boucher un espace de questionnement, d’incertitude et afficher notre présence active au monde ! Mais ce qui est répété des milliers de fois, pour être le plus parlant possible est souvent le plus creux. Il y a quelques années de cela, une rumeur sociale commençait par « Il paraît que ». Aujourd’hui la rumeur n’existe plus, c’est l’époque des affirmations et des certitudes, bien qu’il faudrait une étude scientifique pour vérifier cela…

Photo illustrant la tribune de Marie-Pierre Borde, médiateur. Un groupe de personnes qui parlent avec un verre à la main.
Copyright Shutterstock source La Vie Economique du Sud-Ouest

fonctions principales : montrer mon assentiment total et inconditionnel à ce qui est dit par mon interlocuteur, et empêcher un dialogue avec lui.
En utilisant ce terme je montre à mon interlocuteur que je valide tout ce qu’il a dit, en bloc. Des fois qu’il se fâche, se vexe ou suspecte que je puisse avoir un avis différent… Tous pareils. C’est le mode réseau social ! Bientôt, nous ne dirons même plus « exactement » mais « like » ! En effet, en anglais « like » veut dire « j’aime »
et il est toujours associé à un petit coeur à cocher pour montrer qu’on vous aime, mais il veut également dire « comme ». Comme toi, pareil. Aussi, dans un futur
proche, nous montrerons notre approbation totale d’un signe muet de la tête ou d’un poing sur le coeur, car pour indiquer mon adhésion totale, les mots ne sont
alors plus nécessaires.
Les « exactement » coupent court à tout commentaire, puisque c’est exactement cela. Après ce mot, il n’y a plus rien à dire.

La même pensée, une norme sociale

Montrer que nous avons la même pensée devient une norme sociale : il est possible que ça nous joue des tours plus rien à en dire. C’est l’équivalent de « un point, c’est
tout », de « tout est dit ». Ce que ce mot clôture, c’est un dialogue, avant même qu’il ait pu avoir lieu. Ce dont il témoigne, c’est de l’absence de désir de dialoguer, de confronter des points de vue différents, d’écouter, d’entendre, d’évaluer, de nuancer, de se risquer à donner sa propre parole et écouter celle de l’autre. En effet, un dialogue est différent de deux monologues. Je parle d’une chose, vous parlez d’une chose, je dis des mots répétés, vous dites des mots répétés. Ce sont deux monologues. Ce n’est pas un dialogue, même s’il y a une apparence de communication.
Montrer que nous avons la même pensée devient une norme sociale. Il est possible que cela nous joue des tours. Une même pensée, ça fait un peu peur quand
même… non ? Exactement, exact-te-ment !

Tribune écrite par Marie-Pierre BORDE, thérapeute et Médiateur (conventionnel et judiciaire) – Périgueux – inscrite à la Cour d’appel d’Agen et Bordeaux